Parasitisme économique, comment le démasquer ?

L’imitation d’un produit peut constituer un acte parasitaire fautif au titre de la responsabilité civile de l’article 1240 du Code civil.

Retour sur l’arrêt de Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 26 juin 2024[1] et du litige ayant opposé les sociétés Decathlon aux sociétés Intersport et Phoenix Group.

Le contexte

La société Decathlon SE a commercialisé un masque intégral au tuba intégré dit « Easybreath » ayant la particularité d’éviter l’apparition de buée ou de gêne respiratoire. Elle est titulaire d’un modèle communautaire sur casque intégral au tuba intégré. Une licence a été consentie sur ce modèle à la société Decathlon France.

La société Intersport France a acquis, auprès de la société de droit allemand Phoenix Group, des masques intégraux au tuba intégré référencés « Tecnopro ».

Les sociétés Decathlon ont assigné les sociétés Intersport et Phoenix en contrefaçon de dessin et modèle communautaire enregistré, en concurrence déloyale et en parasitisme. A titre reconventionnel, la société Intersport a demandé la nullité du modèle communautaire.

La décision de la Cour d’Appel de Paris du 28 janvier2022

Il est intéressant de préciser que la Cour d’appel de Paris avait rejeté le grief de contrefaçon et celui de concurrence déloyale.

Sur le terrain de la contrefaçon, la Cour d’appel a considéré que la plupart des ressemblances existant entre les produits en présence ressortaient de caractéristiques imposées par des considérations techniques et qu’il ressortait des différences entre les masques une impression visuelle globale différente.

Sur le terrain de la concurrence déloyale, la Cour d’appel a estimé qu’en raison des différences existantes entre les modèles, il n’était pas démontré de risque de confusion, critère déterminant pour retenir le grief de concurrence déloyale.

Le rappel de la définition du parasitisme

La Cour de Cassation rappelle la définition consacrée par la jurisprudence selon laquelle le parasitisme économique est « une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ».

Deux critères doivent être observés pour pouvoir caractériser un comportement parasitaire :

- La victime doit démontrer la valeur économique individualisée du travail qu'il invoque,

- La victime doit démontrer la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage.

L’arrêt de la Cour de Cassation vient éclairer cette notion de « valeur économique individualisée ».

La Cour rappelle que le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation d’un produit.

Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.

Eléments d’appréciation du parasitisme

Pour la retenir l’existence d’une valeur économique identifiée et individualisée, la Cour de Cassation retient :

- la grande notoriété du masque « Easybreath » des sociétés Decathlon,

- la réalité du travail de conception et de développement sur une durée de trois années pour un montant total de 350.000 euros,

- le caractère innovant de la démarche conduite par les sociétés Decathlon,

- les investissements publicitaires de plus de 3 millions d'euros,

-un chiffre d'affaires de plus de 73 millions d'euros entre mai 2014 et novembre 2018 généré par la vente de ce produit,

- l’absence de produits équivalents sur le marché français au moment du lancement du masque « Easybreath ».

La Cour de Cassation retient que (i) les sociétés Phoenix et Intersport ne justifient d'aucun travail de mise au point ni de coût exposés relatifs à leur propre produit, (ii) le produit est identique d'un point de vue fonctionnel et fortement inspiré de l'apparence du produit des Sociétés Decathlon, et que (iii) cette commercialisation de ce produit est intervenue à une période au cours de laquelle la Decathlon SE investissait encore pour la promotion de son produit.

L’ensemble de ces éléments caractérise le deuxième critère, à savoir la volonté de se placer dans le sillage de la victime : « un lien se faisant entre les deux masques du fait de leur aspect global, a permis aux sociétés Phoenix et Intersport de bénéficier, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel et caractérise la volonté délibérée de ces dernières de se placer dans le sillage des sociétés Decathlon pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par leur masque subaquatique ».

La Cour de Cassation a confirmé le raisonnement de la Cour d’appel.

Que faut-il en retenir ?

Un outil protecteur…

Le parasitisme peut être un outil juridique précieux en l’absence de droits de propriété intellectuelle sur un produit,  en l’absence de caractérisation d’actes contrefaisants selon les dispositions du Code de la Propriété intellectuelle ou en l’absence d'observation des critères de la concurrence déloyale.

…sous réserve de pouvoir identifier une valeur économique

Cependant la caractérisation d’actes de parasitisme implique, au-delà de la copie d’un produit, la démonstration d’une valeur économique du produit sur le marché (caractérisée par des investissement financiers, humains et promotionnels importants), distincte du succès commercial du produit.

…et d’anticiper sa documentation.

L'appréciation concrète par les juridictions des investissements et de la valeur du produit sur le marché implique pour les entreprises d’adopter une démarche rigoureuse de documentation et de conservation des éléments permettant d’apprécier la réalité des effort et des investissements réalisés pour la commercialisation d’un produit ou d’un service.

Le Cabinet vous accompagne dans l’élaboration de votre stratégie de protection et de défense de votre activité.

 

Le Cabinet reste à votre disposition pour toute question ou demande d’accompagnement.

 

 

[1] Arrêt de la Cour de Cassation, Chambre Commerciale, 26 juin 2024, Pourvois n° M22-17.647, W 22-21.497 jonction